La puissance accumulée entre les mains d'un seul homme, Staline, entraîna de graves conséquences pendant la grande guerre patriotique.
Quand nous nous reportons à beaucoup de nos romans, films et "études scientifiques" historiques, le rôle de Staline dans la guerre patriotique apparaît comme entièrement imaginaire. Staline aurait, en effet, tout prévu. L'armée soviétique, sur la base d'un plan préparé de longue date par Staline, aurait employé la tactique de ce qu'on nomme la "défense active", tactique qui, dans le cas de l'armée soviétique, prétend-on, et grâce uniquement au génie de Staline, se serait transformée en offensive et aurait soumis l'ennemi. La victoire épique remportée grâce à la force des armées de terre des soviets, grâce à son peuple héroïque, est attribuée (uns ce type de romans, de films et d' "études scientifiques" au seul génie stratégique de Staline [note] [note angl.].
Il nous faut analyser soigneusement la question, car elle a une portée considérable non seulement du point de vue historique, mais spécialement du point de vue politique, éducatif et pratique.
Sur ce chapitre, quels sont les faits?
Avant la guerre, notre presse et tout notre travail politico-éducatif étaient caractérisés par un ton bravache; qu'un ennemi viole le sol soviétique sacré, et pour chacun de ses coups il en recevra trois; et nous battrons cet ennemi sur son propre sol, remportant la victoire sans beaucoup de dommage pour nous-mêmes. Mais ces déclarations positives n'étaient pas fondées dans tous les secteurs sur des faits concrets, qui eussent réellement garanti l'immunité de nos frontières.
Pendant la guerre et après la guerre, Staline avança la thèse selon laquelle la tragédie dont notre pays avait fait l'expérience dans la première phase de la guerre était le résultat de l'attaque-surprise des Allemands contre l'Union soviétique. Mais, camarades, ceci est tout à fait inexact. Dès que Hitler se fut emparé du pouvoir en Allemagne, il s'assigne la tâche de liquider le communisme. Les fascistes le disaient ouvertement; ils ne cachaient pas leurs plans.
Afin d'atteindre ces buts agressifs, toutes sortes de pactes et de blocs furent créés, comme le fameux axe Berlin-Rome-Tokio. Plusieurs faits de la période d'avant guerre montrent qu'Hitler préparait une guerre contre l'Etat soviétique et il avait concentré d'importantes forces armées et des unités blindées près des frontières soviétiques.
Des documents ont maintenant été publiés qui montrent que le 3 avril 1941 Churchill, par l'entremise de son ambassadeur en URSS, Cripps, avertit personnellement Staline que les Allemands avaient procédé au regroupement de leurs forces armées dans l'intention d'attaquer l'Union soviétique; il va de soi que Churchill n'agissait pas du tout en raison de son sentiment d'amitié envers la nation soviétique [note angl.]. Il avait en l'occurrence ses propres visées impérialistes: amener l'Allemagne et l'URSS à une guerre sanglante, et par là renforcer la position de l'empire britannique. De la même façon exactement, Churchill affirmait dans ses messages qu'il cherchait "à l'alerter et à attirer son attention sur le danger qui le menaçait" [note].
Churchill a insisté à maintes reprises sur ce point dans ses dépêches du 18 avril et des jours suivants. Cependant, Staline ne prit pas garde à ces avertissements. Qui plus est, il ordonna de ne pas ajouter foi à des indications de ce genre, afin de ne pas provoquer le déclenchement d'opérations militaires.
Nous devons affirmer que les informations de cet ordre, relatives à la menace d'une invasion armée allemande du territoire soviétique, arrivaient aussi de nos propres sources militaires et diplomatiques, et cependant, comme on savait que l'autorité supérieure était prévenue contre de telles indications, on n'envoyait les données qu'avec crainte, en les entourant de formules de réserve.
Ainsi, par exemple, les informations envoyées de Berlin, le 6 mai 1941 par -l'attaché militaire soviétique, le capitaine Vorontsov, disaient:
"Le citoyen soviétique Bozer a signalé à l'attaché naval adjoint que selon une déclaration d'un certain officier allemand du QG de Hitler, l'Allemagne se prépare à envahir l'URSS le 14 mai par la Finlande, les pays baltes et la Lettonie. En même temps, Moscou et Léningrad seront soumis à de violents raids, et des parachutistes atterriront dans les villes frontières..." [note angl.]
Dans son rapport du 22 mai 1941, l'attaché militaire adjoint à Berlin, Khlopov, communiquait que
"l'attaque de l'armée allemande est, paraît-il , prévue pour le 15 juin, mais il est possible qu'elle commence dans les premiers jours de juin." [note angl.]
Un câble de notre ambassade à Londres, daté du 18 juin 1941, disait:
"Pour l'instant, Cripps est intimement convaincu du caractère inévitable d'un conflit armé entre l'Allemagne et l'URSS, qui ne commencera pas plus tard que la mi-juin. Selon Cripps, les Allemands ont actuellement concentré cent quarante-sept divisions (y compris de l'aviation et des unités du train) le long des frontières soviétiques" [note] [note angl.].
Malgré ces avertissements particulièrement graves, les mesures nécessaires n'étaient pas prises pour préparer le pays comme il le fallait à se défendre et l'empêcher d'être pris au dépourvu [note].
Avions-nous le temps et la possibilité de réaliser cette préparation? Oui, nous avions le temps et les possibilités. Notre industrie était déjà si développée qu'elle était à même de fournir complètement à l'armée soviétique tout ce dont elle avait besoin. Ceci est prouvé par le fait suivant: pendant la guerre, bien que nous ayons perdu près de la moitié de notre industrie et d'importantes régions de production industrielle et agricole, par suite de l'occupation ennemie de l'Ukraine, du Caucase nord et d'autres secteurs occidentaux du pays, la Nation soviétique a encore réussi à organiser la production de l'équipement militaire dans les parties orientales du pays, y transférant du matériel retiré des régions industrielles occidentales, et à procurer à nos forces armées tout ce qui leur était nécessaire pour anéantir l'ennemi [note angl.].
Si notre industrie avait été mobilisée de façon adéquate et en temps voulu pour fournir à l'armée le matériel nécessaire, nos pertes de guerre auraient été nettement réduites. Mais cette mobilisation n'a pas été entreprise à temps. Dès les premiers jours de la guerre, il était manifeste que notre armée était mal équipée, que nous n'avions pas assez d'artillerie, de tanks et d'avions pour repousser l'ennemi.
La science et la technologie soviétiques avaient produit avant la guerre d'excellents modèles de tanks et de pièces d'artillerie. Mais la production en série de ces modèles ne fut pas organisée, et en fait nous n'avions commencé à moderniser notre équipement militaire qu'à la veille de la guerre. Résultat: au moment de l'invasion ennemie, nous ne disposions ni de l'ancien matériel auparavant employé pour la production d'armements, ni du nouveau matériel par lequel il devait être remplacé. La situation était spécialement mauvaise pour la DCA. Nous n'avions pas organisé la production de munitions antitanks. Nombre de régions fortifiées s'étaient révélées indéfendables lors de l'attaque, parce que l'ancien armement avait été évacué et que le nouveau n'était pas encore disponible.
Cette constatation ne jouait pas seulement pour les tanks, l'artillerie et les avions. Au début de la guerre, nous n'avions même pas un nombre suffisant de fusils pour armer les effectifs mobilisés. 7e rappelle qu'en ces jours, j'ai téléphoné de Kiev au camarade Malenkov en lui disant:
"Nous avons dans la nouvelle armée des volontaires qui demandent des armes. Envoyez-nous-en." [note angl.]
Malenkov me répondit:
"Nous ne pouvons vous envoyer des armes. Nous envoyons tous nos fusils à Léningrad et il faut vous armer vous-mêmes..."
(Mouvements dans la salle.)
Telle était la situation des armements.
A ce sujet, nous ne pouvons oublier, par exemple, le fait suivant. Peu avant l'invasion de l'Union soviétique par l'armée hitlérienne, Korponos, chef du district militaire spécial de Kiev, qui fut plus tard tué sur le front, écrivit à Staline que les armées allemandes étaient sur le fleuve Bug, se préparaient à une attaque et lanceraient probablement à brève échéance leur offensive. Il proposait qu'une vigoureuse défense soit organisée, que trois cent mille personnes soient évacuées des régions frontalières et que plusieurs points forts soient organisés en ces régions, avec fosses antitanks, tranchées pour les soldats, etc. [note angl.]
Moscou répondit à cette proposition en alléguant que ce serait une provocation, qu'il ne fallait entreprendre aux frontières aucun travail préparatoire de défense, ni fournir aux Allemands le moindre prétexte d'entamer une action militaire contre nous. Ainsi, nos frontières furent insuffisamment préparées à repousser l'ennemi.
Quand les armées fascistes eurent effectivement envahi le territoire soviétique et que les opérations militaires furent en cours, Moscou ordonna qu'il ne soit pas répondu au tir allemand. Pourquoi? Parce que Staline, en dépit de faits évidents, pensait que la guerre n'avait pas encore commencé, que ce n'était là qu'une action de provocation de la part de plusieurs contingents indisciplinés de l'armée allemande, et que notre réaction pourrait offrir aux Allemands un motif de passer à la guerre.
Le fait qui suit est également connu. A la veille de l'invasion du territoire de l'Union soviétique par l'armée hitlérienne, un certain citoyen allemand franchit notre frontière et indiqua que les armées allemandes avaient reçu ordre de lancer l'offensive contre l'Union soviétique dans la nuit du 22 juin, à 3 heures. Staline en fut informé immédiatement, mais même cet avertissement fut ignoré.
Comme vous le voyez, tout fut ignoré: les avertissements Comme certains commandants d'armées, les déclarations de déserteurs de l'armée ennemie et même les hostilités ouvertes de l'ennemi. Est-ce là un exemple de la vigilance du chef du Parti et de l'Etat à ce moment historique particulièrement significatif?
Et quels furent les résultats de cette attitude insouciante, de ce mépris des faits établis? Le résultat fut que dès les premières heures, dès les premiers jours, l'ennemi avait détruit, dans nos régions frontalières, une grande partie de notre armée de l'air, de notre artillerie et autres équipements militaires. Il anéantit un grand nombre de nos cadres militaires et désorganisa notre état-major. Par conséquent, nous fûmes dans l'impossibilité d'empêcher l'ennemi de pénétrer profondément à l'intérieur du pays.
Des conséquences très graves, surtout dans les premiers jours de la guerre, résultèrent de l'élimination par Staline de nombreux chefs militaires et de fonctionnaires politiques entre 1937 et 1941. Pendant ces années, la répression fut instituée contre certaines parties des cadres militaires, commençant à l'échelon des commandants de compagnies et de bataillons et allant jusqu'aux plus hautes sphères militaires. Durant cette époque, les chefs qui avaient acquis une expérience militaire en Espagne et en Extrême-Orient furent presque tous liquidés [note] [note angl.].
Cette politique de vaste répression contre les cadres militaires eut également pour résultat de saper la discipline militaire parce que, durant de nombreuses années, on avait appris aux officiers de tous grades et même aux soldats, dans le Parti et les cellules des jeunesses communistes, à "démasquer" leurs supérieurs en tant qu'ennemis cachés. (Mouvements dans la salle.) Il est naturel que ceci ait eu une influence négative sur l'état de la discipline militaire dans la première période de la guerre.
Et, comme vous le savez, nous avions avant la guerre d'excellents cadres militaires qui, sans le moindre doute, étaient loyaux au Parti et à la patrie.
Qu'il suffise de dire que ceux d'entre eux qui survécurent aux sévères tortures auxquelles ils furent soumis dans les prisons se sont comportés dès les premiers jours de la guerre comme de véritables patriotes et combattirent héroïquement pour la gloire de la patrie. Je pense ici aux camarades Rokossovsky [note] qui, ainsi que vous le savez, a été emprisonné; Gorbatov, Meretskov, qui sont délégués au présent Congrès; Podlas, un excellent commandant qui tomba sur le front, et à tous les autres. Cependant, de nombreux commandants périrent dans les camps et les prisons, et l'armée ne les revit jamais plus [note angl.].
Tout cela a conduit à la situation qui existait au début de la guerre et qui constituait la grande menace contre notre pays.
On aurait tort d'oublier qu'après les premières défaites et les premiers désastres sur le front, Staline pensa que c'était la fin. Dans l'un de ses discours de l'époque, il déclara:
"Tout ce que Lénine avait créé, nous l'avons perdu à jamais." [note angl.]
Après cela, Staline ne dirigea pas effectivement - et pendant longtemps - les opérations militaires et cessa de faire quoi que ce soit. Il ne reprit la direction active qu'après avoir reçu la visite de certains membres du Bureau politique, qui lui dirent qu'il était nécessaire de prendre certaines mesures immédiatement afin d'améliorer la situation sur le front [note angl.].
Par conséquent, le danger menaçant suspendu sur notre patrie dans la première période de la guerre était dû largement aux erreurs de Staline lui-même quant aux méthodes par lesquelles il dirigeait la Nation et le Parti.
Cependant, nous ne parlons pas seulement du moment où la guerre commença, moment qui conduisit à une désorganisation sérieuse de notre armée et nous valut de lourdes pertes. Même après le début de la guerre la nervosité et l'hystérie manifestées par Staline, se répercutant sur les opérations militaires effectives, causèrent à notre armée de graves dommages.
Staline était loin de comprendre la situation réelle qui se développait sur le front. Ce qui était naturel puisque pendant toute la guerre patriotique, il n'avait jamais visité aucune partie du front ou aucune ville libérée, à l'exception d'une courte tournée sur la route de Mojaïsk, pendant une période de stabilisation du front. A cet épisode ont été dédiées de nombreuses oeuvres littéraires pleines de fantaisies de toutes sortes, et autant de tableaux. Simultanément, Staline s'immisçait dans les opérations et lançait des ordres qui ne tenaient pas compte de la situation véritable à un point donné du front et qui ne pouvaient que se traduire par d'immenses pertes d'effectifs.
Je me permettrai à ce propos de noter un fait caractéristique qui illustre la façon dont Staline dirigeait les opérations sur les lignes. Nous avons, parmi les participants au Congrès, le maréchal Bagramian [note] qui fut (chef des opérations au quartier général du front sud-ouest, et peut corroborer ce que je vais vous dire [note angl.].
Quand la situation devint exceptionnellement grave pour notre armée en 1942, dans la région de Kharkov, nous avions à juste titre décidé d'arrêter une opération dont l'objectif à l'époque aurait pu avoir pour l'armée de fatales suites si elle avait été continuée.
Nous en fîmes part à Staline, indiquant que la situation réclamait des changements dans les plans opérationnels pour empêcher l'ennemi d'anéantir une importante concentration de nos troupes.
Contrairement au sens commun, Staline rejeta notre suggestion et donna ordre de poursuivre l'opération qui visait à encercler Kharkov, malgré le fait qu'à l'époque de nombreuses concentrations militaires étaient elles-mêmes menacées d'encerclement et d'anéantissement.
Je téléphonai à Vassilevsky [note] et m'exprimai comme suit:
"Alexandre Mikhaïlovitch, prenez une carte [Vassilevsky était présent] et indiquez au camarade Staline l'état de la situation."
Il y a lieu de noter que Staline dressait ses plans en utilisant un globe terrestre [note angl.].
(Remous dans la salle.)
Oui, camarades, c'est à l'aide d'un globe terrestre qu'il établissait la ligne du front. J'ai dit au camarade Vassilevsky:
"Montrez-lui l'état de la situation sur une carte; dans l'état actuel des choses, nous ne pouvons pas mener à bien les opérations qui avaient été envisagées. La décision primitive doit être modifiée dans l'intérêt de la cause."
Vassilevsky répondit que ce problème avait été déjà étudié par Staline et qu'il n'était pas disposé à revoir Staline à cc sujet, car ce dernier ne voulait plus accepter de discuter au sujet de l'opération en question.
Après ma conversation avec Vassilevsky, je téléphonai à Staline à sa villa. Mais Staline ne répondit pas au téléphone; c'était Malenkov qui était à l'appareil. Je dis au camarade Malenkov que je téléphonais du front et que je désirais parler personnellement à Staline. Staline me fit savoir, par l'entremise de Malenkov, que je pouvais m'adresser à ce dernier. J'insistai à nouveau que je désirais informer Staline personnellement au sujet de la grave situation qui existait pour nous sur le front. Mais Staline ne jugea pas utile de prendre le récepteur et me fit à nouveau savoir que je devais m'adresser à lui par l'intermédiaire de Malenkov, bien qu'il se trouvât à deux pas de l'appareil.
Après avoir "écouté" de cette façon notre plaidoyer, Staline dit: "Ne changez rien à ce qui a été décidé."
Et qu'est-ce qui résulta de tout ceci? Le pire de ce que nous pouvions attendre. Les Allemands encerclèrent nos concentrations de troupes et -nous perdîmes en conséquence des centaines de milliers de soldats. Tel est le "génie" militaire de Staline. Voilà ce qu'il nous en coûta [note angl.].
(Mouvements dans la salle.)
Après la guerre, lors d'une réunion à laquelle assistaient Staline ainsi que des membres du Bureau politique, Anastase Ivanovitch Mikoïan fit ressortir que Khrouchtchev devait avoir eu raison à l'époque, quand il téléphona au sujet de l'opération militaire de Kharkov. Mikoïan ajouta qu'il avait été malheureux que la suggestion de Khrouchtchev ne fût pas retenue [note angl.].
Vous auriez dû voir la fureur dans laquelle entra Staline. Comment pouvait-on supposer que Staline n'avait pas eu raison! N'était-il pas, après tout, un "génie", et un génie ne peut qu'avoir raison! Tout le monde peut se tromper, mais Staline pensait qu'il avait toujours raison. Il n'admettait jamais avoir commis une erreur, petite ou grande, bien qu'il en commît plus d'une tant en matière de théorie qu'au cours de son activité pratique. Lorsque le Congrès du Parti sera achevé, nous aurons probablement à réexaminer plusieurs opérations militaires du temps de guerre et à les présenter sous leur vrai jour.
Les tactiques auxquelles tenait Staline, sans toutefois être familier avec la conduite des opérations militaires, nous ont coûté beaucoup de sang, jusqu'au moment où nous parvînmes à arrêter l'adversaire et à déclencher l'offensive.
Les militaires n'ignorent pas que depuis la fin de 1941, plutôt que de déclencher de grandes manoeuvres opérationnelles qui auraient pris l'ennemi de flanc et permis de pénétrer dans ses arrières, Staline demandait que l'on procédât à des attaques frontales incessantes et que l'on capturât un village après un autre. Ces tactiques se traduisaient pour nous par de grandes pertes, jusqu'au moment où nos généraux, sur lesquels reposait tout le poids de la conduite de la guerre, parvinrent à modifier la situation et à venir à des manoeuvres opérationnelles souples. Cette nouvelle tactique devait immédiatement permettre d'importants changements sur le front en notre faveur.
Après notre grande victoire sur l'ennemi, qui nous coûta si cher, Staline n'hésita pas à dégrader plusieurs des commandants qui contribuèrent tellement à la victoire, car Staline ne pouvait pas admettre la possibilité que des services rendus sur le front fussent portés au crédit d'autres personnes que lui-même.
Staline aimait beaucoup connaître l'opinion que l'on professait sur le camarade Joukov, en tant que chef militaire [note]. Il me demanda souvent mon opinion sur Joukov. Je lui répondais:
"Je connais Joukov depuis longtemps; c'est un bon général et un bon chef militaire." [note angl.]
Après la guerre, Staline se répandit en commentaires défavorables à l'égard de Joukov. Il disait, entre autres:
"Vous avez loué Joukov, mais il ne 1e mérite pas. On raconte que Joukov, avant de déclencher une opération, procédait de la sorte: Il prenait un peu de terre dans sa main, la sentait et déclarait: nous pouvons commencer l'attaque, ou au contraire: cette opération envisagée ne peul être déclenchée."
Je lui répondais, à cette époque:
"Camarade Staline, j'ignore qui a inventé ceci, mais la chose n'est pas vraie."
Il est possible que ce soit Staline qui ait inventé cette anecdote, dans le but de minimiser le rôle et le talent militaire du maréchal Joukov.
Staline a beaucoup tenu à se faire passer pour un grand chef militaire. De diverses manières, il s'efforça d'inculquer dans le peuple l'idée que toutes les victoires remportées par la Nation soviétique durant la grande guerre patriotique devaient être uniquement attribuées au courage, à l'audace et au génie de Staline. Tout comme Kouzma Kryouchkov, "il vêtit de la même robe sept personnes en même temps" [note] [note angl.].
(Mouvements dans la salle.)
Dans le même ordre d'idées, reportons-nous, par exemple, à nos films historiques et militaires, ainsi qu'à quelques créations littéraires. C'est écoeurant. Il ne s'agit que de propager le thème d'après lequel Staline était un génie militaire. Souvenons-nous du film la Chute de Berlin [note]. Ici, c'est Staline seul qui agit; il transmet des ordres dans une salle où l'on remarque plusieurs chaises inoccupées. Seul, un homme s'approche de lui et lui fait part de quelque chose. Il s'agit de Poskrebychev, son loyal portebouclier [note] [note angl.].
(Rires dans la salle.)
Où sont donc les chefs militaires, et le Bureau politique, et le gouvernement? Que font-ils et de quoi s'occupent-ils? Rien ne le dit dans le film. Staline agit pour tout le monde; il ne compte sur personne, ne demande l'avis de personne. C'est sous ce faux décor que tout est présenté à la Nation. Pourquoi? Afin de pouvoir auréoler Staline de gloire, contrairement aux faits et contrairement à la vérité historique.
On ne peut s'empêcher de se poser la question: où se trouvent donc les militaires qui supportaient le poids de la guerre sur leurs épaules? Ils sont absents du film. Staline présent, il ne restait plus de place pour personne.
Ce n'est pas Staline, mais bien le Parti tout entier, le gouvernement soviétique, notre héroïque armée, ses chefs talentueux et ses braves soldats, la Nation soviétique tout entière qui ont remporté la victoire dans la grande guerre patriotique.
(Tempête d'applaudissements prolongés.)
Les membres du Comité central, les ministres, nos chefs économiques, les dirigeants de la culture soviétique, les administrateurs des organisations territoriales, du Parti et des soviets, les ingénieurs, les techniciens, chacun d'eux à sa place de travail, ne ménagea ni sa force, ni son savoir afin de rendre possible la victoire sur l'ennemi.
Nos meilleurs militants firent preuve d'un héroïsme exceptionnel. Toute notre classe ouvrière, notre paysannerie kolkhozienne, l'intelligentsia soviétique qui, sous la direction des organisations du Parti, surmontèrent d'indicibles privations et consacrèrent toutes leurs forces pour la défense de la patrie, sont auréolées de gloire.
Nos femmes soviétiques accomplirent, de leur côté, de grands actes de bravoure; elles s'attelèrent au travail de production dans les usines, dans les kolkhozes et dans divers secteurs économiques et culturels. De nombreuses femmes prirent part sur le front même aux combats.
Quant à notre brave jeunesse, elle contribua sans limites, tant sur le front qu'à l'arrière, à la défense de la patrie soviétique et à l'annihilation de l'ennemi.
Immortels sont les services rendus par les soldats soviétiques, nos chefs et les militants politiques de tous rangs; après la perte d'une considérable partie de l'armée dans les premiers mois de la guerre, ils n'ont pas perdu la tête et ont pu se réorganiser pendant que se déroulaient les combats; ils ont créé et consolidé, pendant la guerre, une armée forte et héroïque, et ils ne se sont pas contentés de résister à un ennemi puissant et expérimenté, mais l'ont encore vaincu.
Les actions magnifiques et héroïques de centaines de millions de gens de l'Est et de l'Ouest pendant la lutte contre la menace de soumission au joug fasciste, à laquelle nous avions à faire face, resteront pendant des siècles et des millénaires dans la mémoire de l'humanité reconnaissante.
(Tonnerre d'applaudissements prolongés.)
C'est à notre parti communiste, aux forces armées de l'Union soviétique, et aux dizaines de millions de Soviétiques mobilisés par le Parti que revient la part essentielle de la fin victorieuse de la guerre, dans laquelle ils ont joué un rôle de premier plan.
Camarades, venons-en à d'autres faits. L'Union soviétique est à juste titre considérée comme un modèle d'Etat multinational parce que nous avons, dans la pratique, assuré l'égalité des droits et l'amitié de toutes les nations qui vivent dans notre vaste patrie.
D'autant plus monstrueux sont les actes, dont Staline fut l'inspirateur, et qui constituent des violations brutales des principes léninistes fondamentaux de la politique des nationalités de l'Etat soviétique. Nous voulons parler des déportations massives de peuples entiers, y compris tous les communistes et Komsomols sans exception; ces mesures de déportation n'étaient justifiées par aucune considération militaire [note angl.].
Ainsi, dès la fin de 1943, quand se produisit une brèche sur tous les fronts de la grande guerre patriotique au bénéfice de l'Union soviétique, la décision fut prise et mise à exécution de déporter tous les Karatchais des terres sur lesquelles ils vivaient [note angl.]. A la même époque, fin décembre 1943, le même sort advint à toute la population de la république autonome des Kalmouks. En mars 1944, tous les Tchetchènes et tous les Ingouches ont été déportés et la république autonome tchetchène-ingouche liquidée. En avril 1944, tous les Balkars ont été déportés dans des endroits très éloignés du territoire de la république autonome kabardo-balkare et la république elle même fut rebaptisée république autonome kabarde [note] [note angl.]. Les Ukrainiens n'évitèrent ce sort que parce qu'ils étaient trop nombreux et qu'il n'y avait pas d'endroit où les déporter. Sinon, ils auraient été déportés eux aussi [note angl.].
(Rires et mouvements dans la salle.)
Non seulement un marxiste-léniniste, mais tout homme de bon sens ne peut comprendre comment il est possible de tenir des nations entières responsables d'activité inamicale, y compris les femmes, les enfants, les vieillards, les communistes et les komsomols, au point de recourir contre elles à la répression massive et de les condamner à la misère et à la souffrance en raison d'actes hostiles perpétrés par des individus ou des groupes d'individus.