Camarades, le culte de la personnalité a atteint de si monstrueuses proportions, surtout en raison du fait que Staline lui-même, utilisant toutes les méthodes concevables, a encouragé la glorification de sa propre personne [note]. Cela est étayé par de nombreux faits. Un des exemples les plus caractéristiques de cette autoglorification et du manque absolu de modestie de Staline est la publication, en 1948, de sa Biographie abrégée [note angl.]. Staline y est flatté et glorifié à l'égal d'un dieu et considéré comme un sage infaillible, "le plus grand des chefs", "le plus grand stratège de tous les temps".
On en arriva à ne plus trouver de mots suffisamment forts pour chanter davantage ses louanges.
Il est inutile de citer quelques exemples d'adulation pris parmi tous ceux qu'on rencontre dans ce livre. Qu'il me suffise d'ajouter que toutes ces adulations avaient été approuvées par Staline lui-même et qu'il en avait ajouté d'autres, écrites de sa propre main, sur le projet de texte du livre [note angl.].
S'était-il efforcé, dans ces notes manuscrites, de refroidir l'ardeur des thuriféraires qui avaient rédigé sa Biographie abrégée? Bien au contraire! Il prit soin de faire ressortir que dans certains passages du livre, les éloges qui lui étaient prodigués n'étaient pas, à son avis, suffisants.
Voici quelques exemples de "corrections" apportées par Staline, de sa propre main:
"Dans cette lutte contre les sceptiques et les capitulards, contre les trotskistes, les zinoviévistes, les boukhariniens et les kamenévistes, le noyau dirigeant du Parti devait, après la mort de Lénine, trouver un motif d'union définitive. Ce noyau dirigeant allait, sous la bannière de Staline, rallier le Parti aux mots d'ordre du disparu et conduire le peuple soviétique sur la large voie de l'industrialisation du pays et de la collectivisation de l'économie rurale. Le chef de ce noyau dirigeant et le guide du Parti et de l'Etat était le camarade Staline."
Voilà ce qu'écrivait Staline lui-même! Puis, il ajoutait:
"Quoiqu'il assumât ses fonctions de chef du Parti et du peuple avec une habileté consommée et jouît de l'appui sans réserve du peuple soviétique tout entier, Staline ignora toute vanité, prétention ou glorification personnelle."
Où et quand a-t-on vu un chef chanter ses propres louanges? Est-ce là un procédé digne d'un chef de type marxiste-léniniste? Non. C'est justement contre de telles pratiques que se sont élevés Marx et Engels. Ces procédés étaient également fortement condamnés par Vladimir Ilitch Lénine.
Dans le projet de cette Biographie abrégée, on pouvait lire la phrase suivante: "Staline est le Lénine d'aujourd'hui." Cette phrase apparut trop faible à Staline, aussi, de sa propre main, la changea-t-il en:
"Staline est le digne continuateur de l'oeuvre de Lénine, ou, comme on le dit dans notre Parti, Staline est le Lénine d'aujourd'hui."
Vous voyez comme cela est bien exprimé, non par le peuple mais par Staline lui-même!
Il est possible d'indiquer plusieurs appréciations de ce genre à sa propre louange écrites de la main de Staline dans le projet de texte de ce livre. C'est d'une manière particulièrement généreuse qu'il se couvrait lui même de louanges relatives à son génie militaire, à son art de la stratégie.
Je citerai encore un additif rédigé par Staline sur le thème du génie militaire stalinien.
"La science soviétique de la guerre moderne a fait de nombreux progrès entre les mains du camarade Staline. Le camarade Staline a mis au point la théorie des facteurs permanents qui décident de l'issue des guerres, de la défense active- et des lois de la contre-offensive et de l'offensive, de la collaboration de l'ensemble des services et des armes dans la guerre moderne, du rôle des masses de chars lourds et de l'aviation dans la guerre moderne, ainsi que de l'artillerie comme le plus formidable des services armés. Aux divers stades de la guerre, le génie de Staline a trouvé les solutions justes qui tenaient compte de toutes les circonstances de la situation."
(Mouvements dans la salle.)
Et plus loin, Staline écrit:
"La maîtrise militaire de Staline s'est déployée tant dans la défense que dans l'attaque. Le génie du camarade Staline lui permettait de deviner les plans de l'ennemi et de les mettre en échec. Les batailles dans lesquelles le camarade Staline a dirigé les armées soviétiques sont de brillants exemples de l'habileté opérationnelle militaire."
C'est de cette façon qu'était écrite la louange de Staline en tant que stratège. Par qui? Par Staline lui même, non dans son rôle de stratège, mais dans le rôle d'un auteur-éditeur, l'un des principaux rédacteurs de sa biographie autolaudative.
Camarades, tels sont les faits. Il nous faudrait plutôt dire les faits honteux [note].
Et encore un fait sur la même Biographie abrégée de Staline. Comme on le sait, le Précis de l'histoire du parti communiste (bolchevik) de l'Union soviétique a été écrit par une commission du Comité central du Parti [note angl.].
Ce livre, entre parenthèses, a été également imprégné du culte de l'individu et a été écrit par un groupe désigné d'auteurs. Ce fait se reflétait dans la formule suivante figurant sur les épreuves de la Biographie abrégée de Staline:
"Une commission du Comité central du parti communiste (bolchevik) de l'Union soviétique, sous la direction du camarade Staline et avec sa participation la plus active, a préparé un Précis dé l'histoire du parti communiste (bolchevik) de l'Union soviétique."
Mais, même cette phrase ne donnait pas satisfaction à Staline. La phrase suivante la remplaça dans la version définitive de la Biographie abrégée:
"En 1938 parut le livre Histoire du parti communiste (bolchevik) de l'Union soviétique, précis écrit par le camarade Staline et approuvé par une commission du Comité central du PC (b.) de l'Union soviétique."
Est-il possible d'ajouter quoi que ce soit?
(Mouvements dans la salle.)
Comme vous le voyez, une métamorphose surprenante avait transformé l'oeuvre d'un groupe en un livre écrit par Staline. Il n'est pas nécessaire de dire comment et pourquoi cette métamorphose se produisit.
A ce propos, une question me vient à l'esprit: si Staline est l'auteur de ce livre, pourquoi a-t-il eu besoin de tant encenser la personne de Staline et de transformer toute la période de l'histoire de notre glorieux parti communiste après la révolution d'Octobre en une action du "génie de Staline"
Ce livre reflétait-il d'une façon convenable les efforts du Parti dans la transformation socialiste du pays, dans l'édification de la société socialiste, dans l'industrialisation et la collectivisation du pays, ainsi que d'autres mesures prises par le Parti qui, sans dévier, suivit la voie établie par Lénine? Ce livre parle principalement de Staline, de ses discours, de ses rapports. Tout, sans la moindre exception, est lié à son nom.
Et quand Staline affirme qu'il a lui-même écrit le Précis de l'histoire du PC (b.) de l'Union soviétique, on doit pour le moins s'en étonner. Un marxiste-léniniste peut-il écrire ainsi sur lui-même, adressant au ciel l'éloge de sa propre personne?
Ou bien examinons la question des prix Staline [note]. (Mouvements dans la salle.) Les tsars eux-mêmes n'avaient jamais créé de prix portant leur nom [note angl.].
Staline avait désigné comme étant le meilleur un texte d'hymne national de l'Union soviétique qui ne contient pas un mot sur le parti communiste; mais il contient l'éloge suivant, sans précédent, de Staline:
"Staline nous a éduqués dans l'esprit de la fidélité au peuple.
Il nous a inspirés dans l'accomplissement de notre travail grandiose et dans nos actes."
Dans ces vers de l'hymne, toute l'activité du grand parti léniniste dans les domaines de l'éducation, de la direction et de l'inspiration est attribuée à Staline. Cela constitue, bien entendu, une nette déviation du marxisme-léninisme, un avilissement et une dépréciation nets du rôle du Parti. Il nous faut ajouter pour votre information que le Présidium du Comité central a déjà adopté une résolution concernant la composition d'un nouveau texte de l'hymne, dans lequel se reflètent le rôle du peuple et le rôle du Parti [note angl.].
(Applaudissements vigoureux et prolongés.)
Et est-ce à l'insu de Staline que de nombreuses villes et entreprises ont pris son nom? Est-ce à son insu que des monuments à Staline ont été élevés dans tout le pays - ces "monuments commémoratifs pour un vivant"? C'est un fait que Staline lui-même avait signé le 2 juillet 1951 une résolution du Conseil des ministres de l'URSS concernant l'érection, sur le canal Volga-Don, d'un impressionnant monument à Staline; le 4 septembre de la même année, il avait publié un décret accordant trente-trois tonnes de cuivre pour la construction de ce monument massif. Quiconque a visité la région de Stalingrad a certainement vu l'immense statue qui y est édifiée, et cela dans un lieu que ne fréquente presque personne. Des sommes considérables ont été dépensées pour l'édifier, alors que les gens de cette région vivaient depuis la guerre dans des huttes. Jugez vous-mêmes: Staline avait-il raison lorsqu'il écrivait dans sa biographie que:
"... Il ne se permettait... même pas le moindre soupçon de suffisance, de fierté ou d'autoglorification"?
De même, Staline avait donné des preuves de son manque de respect pour la mémoire de Lénine. Ce n'est pas un hasard si malgré la décision prise depuis plus de trente ans de construire un palais des soviets comme monument à la gloire-de Vladimir Ilitch, ce palais ne fut jamais construit, sa construction toujours ajournée et le projet abandonné.
Nous ne pouvons manquer de rappeler la Résolution du 14 août 1925 du gouvernement soviétique concernant "la fondation de prix Lénine pour le travail éducatif ". Cette Résolution avait été publiée dans la presse, mais jusqu'à maintenant il n'y a pas de prix Lénine. Cela aussi doit être corrigé.
(Applaudissements tumultueux et prolongés.)
Du vivant de Staline, grâce aux méthodes connues dont j'ai fait mention, et en citant des faits extraits par exemple de la Biographie abrégée de Staline, tous les événements ont été expliqués comme si Lénine n'avait joué qu'un rôle secondaire, même pendant la révolution socialiste d'Octobre. Dans de nombreux films et dans de nombreux ouvrages littéraires la personnalité de Lénine était présentée d'une façon inexacte et dépréciée d'une façon inadmissible.
Staline aimait à voir le film 1919, l'année inoubliable [note], dans lequel on l'apercevait sur le marchepied d'un train blindé et où il défaisait pratiquement l'ennemi avec son propre sabre. Que Kliment Iefremovitch [note], notre cher ami, trouve le courage nécessaire et qu'il écrive la vérité sur Staline; après tout, il sait comment s'est battu Staline. Il sera difficile au camarade Vorochilov d'entreprendre ce travail, mais il serait bon qu'il le fît [note]. Chacun s'en féliciterait, le peuple comme le Parti. Même ses petits-fils l'en remercieraient [note angl.].
(Applaudissements prolongés.)
En parlant des événements de la révolution d'Octobre et de la guerre civile, on avait créé l'impression que Staline avait toujours joué le rôle principal, comme si toujours et partout Staline avait suggéré à Lénine ce qu'il fallait faire et comment il fallait le faire. Mais c'est calomnier Lénine.
(Applaudissements prolongés.)
Je ne pécherai probablement pas contre la vérité quand je dirai que 99 % des personnes présentes avaient très peu entendu parler de Staline et savaient peu de chose de lui avant l'année 1924, alors que Lénine était connu de tous; tout le Parti, toute la Nation, des enfants jusqu'aux vieillards à barbe blanche, tout le monde le connaissait.
(Applaudissements tumultueux et prolongés.)
Tout cela a besoin d'être revu à fond, en sorte que l'histoire, la littérature et les beaux-arts reflètent d'une façon convenable le rôle de V.I. Lénine et les faits grandioses de notre parti communiste et du peuple soviétique, du peuple créateur.
(Applaudissements.)
Camarades! Le culte de l'individu a provoqué l'emploi de principes erronés dans le travail du Parti et dans l'activité économique; il a conduit à la violation des règles de la démocratie intérieure du Parti et des soviets, à une administration stérile, à des déviations de toutes sortes, dissimulant les lacunes et fardant la réalité. Notre Nation a donné naissance à de nombreux courtisans et spécialistes du faux optimisme et de la duperie.
Il ne faut pas oublier non plus que, du fait de l'arrestation de nombreux dirigeants du Parti, des soviets et de l'économie, maints militants avaient commencé à travailler d'une façon hésitante, montré une prudence excessive, craignant tout ce qui était nouveau; ils avaient peur de leur ombre et commençaient à faire preuve de moins d'initiative dans leur travail.
Prenez par exemple les Résolutions du Parti et des soviets. Elles étaient préparées d'une façon routinière, souvent sans tenir compte de la situation concrète. On était arrivé au point que les militants, même dans les réunions les moins importantes, lisaient leurs discours. Il en résultait un danger de formalisme dans le travail du Parti et des soviets, et la bureaucratisation de tout l'appareil.
La répugnance de Staline à considérer les réalités de l'existence et le fait qu'il n'était pas au courant du véritable état de la situation dans les provinces peuvent trouver leur illustration de la façon dont il a dirigé l'agriculture.
Tous ceux qui ont pris un tant soit peu d'intérêt aux affaires nationales n'ont pas manqué de constater la difficile situation de notre agriculture. Staline, lui, ne le remarquait même pas. Avons-nous attiré l'attention de Staline là-dessus? Oui, nous l'avons fait, mais nous ne fûmes pas appuyés par lui. Pourquoi? Parce que Staline ne s'est jamais déplacé, parce qu'il n'a pas pris contact avec les travailleurs des villes et des kolkhozes. Il ignorait quelle était la situation réelle dans les provinces.
C'est à travers des films qu'il connaissait la campagne et l'agriculture. Et ces films avaient beaucoup embelli la réalité dans le domaine de l'agriculture.
De nombreux films peignaient sous de telles couleurs la vie kolkhozienne, que l'on pouvait voir des tables crouler sous le poids des dindes et des oies. Évidemment, Staline croyait qu'il en était effectivement ainsi.
Vladimir Ilitch Lénine voyait tout autrement la vie. Il était toujours près du peuple. Il avait l'habitude de recevoir des délégations paysannes et de parler souvent dans des réunions tenues dans des usines. Il visitait aussi des villages et prenait contact avec les paysans.
Staline, en revanche, s'était séparé du peuple et ne se rendait nulle part. Cela a duré des dizaines d'années. Sa dernière visite à un village remonte à janvier 1928, époque à laquelle il visita la Sibérie au sujet d'une question de livraison de céréales. Comment donc aurait-il pu être en mesure de juger quelle était la situation dans les provinces? [note angl.]
Lorsqu'il fut informé, au cours d'une discussion, que la situation de l'agriculture était difficile et que celle de l'élevage et de la production de viande était spécialement mauvaise, une commission fut formée et chargée du soin de rédiger une Résolution intitulée "Moyens à employer en vue d'accroître l'élevage dans les kolkhozes et les sovkhozes". Nous mîmes sur pied ce projet.
Naturellement nos propositions à l'époque n'envisageaient pas toutes les possibilités, mais nous avions cependant préconisé des méthodes en vue d'accroître l'élevage dans les kolkhozes et les sovkhozes. Nous suggérions alors d'augmenter les prix du bétail, afin de stimuler par ce biais l'initiative des travailleurs des kolkhozes, des stations de machines et tracteurs et des sovkhozes. Mais notre projet ne fut pas accepté; il allait être entièrement écarté en février 1953.
Il y a plus. Au cours de l'examen de ce projet, Staline proposa que les taxes payées par les kolkhozes et par les travailleurs des kolkhozes fussent portées à quarante milliards de roubles. Selon lui, la paysannerie était aisée et le travailleur kolkhozien n'aurait qu'à vendre un poulet de plus pour être en mesure de payer cet impôt.
Imaginez ce que cela signifiait. Assurément, quarante milliards dé roubles est une somme que les travailleurs des kolkhozes n'avaient pas réalisée pour tous les produits qu'ils avaient vendus au gouvernement. En 1952, par exemple, les kolkhozes et les travailleurs des kolkhozes avaient reçu vingt-six milliards deux cent quatre-vingts millions de roubles pour l'ensemble des produits qu'ils avaient livrés et vendus au gouvernement.
L'attitude de Staline était-elle alors fondée sur des renseignements dé quelque nature que ce fût? Évidemment non.
Dans ces cas-là, les faits et les chiffres ne l'intéressaient pas. Si Staline disait quoi que ce soit, il s'imaginait qu'il en était ainsi - après tout, c'était un "génie", et un génie n'a pas besoin de compter, il n'a qu'à jeter un regard et immédiatement il peut dire ce qu'il devrait en être. Quand il exprime son opinion, chacun doit la répéter et admirer sa sagesse.
Mais quelle était la somme de sagesse contenue dans la proposition d'élever la taxe agricole à quarante milliards de roubles? Aucune, absolument aucune, car la proposition n'était pas fondée sur une estimation effective de la situation, mais sur les idées fantasques d'une personne qui n'avait aucun contact avec la réalité. Actuellement, nous sommes en train de sortir lentement d'une situation agricole difficile. Les discours des délégués au XXe Congrès nous ont tous satisfaits; nous sommes heureux que de nombreux délégués aient pris la parole, qu'il existe les conditions requises pour l'accomplissement du VIe Plan quinquennal pour l'élevage, non pas dans la période de cinq ans, mais en deux ou trois ans. Nous sommes certains que les engagements du nouveau plan quinquennal seront tenus avec succès.
(Applaudissements prolongés.)
Camarades! Si nous critiquons aujourd'hui d'une façon aiguë le culte de l'individu, qui était si répandu du vivant de Staline, et si nous parlons des nombreux phénomènes négatifs engendrés par ce culte tellement étranger à l'esprit du marxisme-léninisme, diverses personnes pourront demander: comment cela fut-il possible? Staline a été à la tête du Parti et du pays pendant trente ans, et de nombreuses victoires ont été remportées de son vivant. Peut-on le nier? A mon avis, cette question peut seulement être posée de cette façon par ceux qui sont aveuglés et hypnotisés sans espoir par le culte de l'individu, par ceux qui ne comprennent pas l'essence de la révolution et de l'Etat soviétique, par ceux qui ne saisissent pas d'une manière léniniste le rôle du Parti et de la Nation dans le développement de la société soviétique.
La victoire de la révolution socialiste a été remportée par la classe ouvrière et par la paysannerie pauvre, avec le soutien partiel des paysans moyens. Elle a été remportée par le peuple, sous la conduite du parti bolchevik. Le grand service rendu par Lénine a consisté dans le fait qu'il a créé un parti militant de la classe ouvrière, mais il était armé de la connaissance marxiste des lois du progrès social et de la science de la victoire prolétarienne dans la lutte contre le capitalisme, et il a trempé comme l'acier le Parti dans le creuset de la lutte révolutionnaire des masses populaires. Dans ce combat, le Parti a toujours défendu les intérêts du peuple, il est devenu son guide expérimenté et a mené les masses laborieuses au pouvoir, à la création du premier Etat socialiste.
Vous vous souvenez bien des sages paroles de Lénine disant que l'Etat soviétique est fort en raison de la conscience des masses, que l'histoire est créée par les millions et les dizaines de millions de gens qui constituent le peuple.
Nous avons obtenu nos victoires historiques grâce au travail d'organisation du Parti, aux nombreuses organisations de province, aux sacrifices consentis par notre grande Nation. Ces victoires sont le résultat de l'immense effort et de l'action de la Nation et du Parti dans leur ensemble; elles ne sont pas du tout le fruit de la direction de Staline, comme on l'avait raconté pendant la période du culte de l'individu.
Si nous voulons étudier cette question en marxistes et en léninistes, il nous faut alors déclarer sans équivoque que la direction, telle qu'elle était pratiquée durant les dernières années de Staline, était devenue un obstacle sérieux sur la voie du développement social de l'Union soviétique.
Souvent, Staline laissait dormir pendant des mois des problèmes d'une exceptionnelle importance pour la vie du Parti et de l'Etat, et dont la solution ne souffrait pas de retard. Sous la direction de Staline, nos relations pacifiques avec d'autres nations avaient été souvent menacées, car les décisions d'un seul pouvaient provoquer et provoquaient en fait souvent de grandes complications.
Dans les dernières années, quand nous sommes arrivés à nous libérer de la pratique nuisible du culte de l'individu et que nous avons pris plusieurs mesures appropriées dans le domaine de la politique intérieure et extérieure, chacun a pu constater comme l'activité reprenait, combien progressait l'activité créatrice des larges masses laborieuses, comme tout cela a agi favorablement sur le développement de l'économie et de la culture.
(Applaudissements.)
Des camarades pourront nous demander: Où étaient les membres du Politburo du Comité central? Pourquoi ne se sont-ils pas élevés à l'époque contre le culte de l'individu? Et pourquoi ne le fait-on que maintenant [note]?
Tout d'abord, il nous faut tenir compte du fait que les membres du Politburo avaient des opinions différentes sur ces problèmes à des époques différentes. A l'origine plusieurs d'entre eux avaient soutenu activement Staline, parce que Staline était l'un des plus forts marxistes et que sa logique, sa puissance et sa volonté influençaient dans une grande mesure les cadres et le travail du Parti.
On sait que Staline, après la mort de Lénine, notamment pendant les premières années, avait activement combattu pour le léninisme contre les ennemis de la théorie léniniste et contre ceux qui s'en écartaient. S'appuyant sur la théorie léniniste, le Parti, avec à sa tête le Comité central, entama sur une grande échelle l'oeuvre d'industrialisation socialiste du pays, de collectivisation agricole et de révolution culturelle. A cette époque, Staline acquit une grande popularité et de nombreuses sympathies, ainsi qu'un large soutien. Le Parti devait combattre ceux qui tentaient de conduire le pays en dehors de la voie léniniste correcte; il devait combattre les trotskistes, les zinoviévistes, les droitiers et les nationalistes bourgeois. Cette lutte était indispensable. Mais, plus tard, Staline, abusant de plus en plus du pouvoir, entama la lutte contre d'éminents chefs du Parti et du gouvernement, et commença d'avoir recours aux méthodes terroristes contre d'honnêtes citoyens soviétiques. Comme nous l'avons déjà montré, c'est ainsi que Staline traita des leaders éminents du Parti et du gouvernement, tels que Kossior, Roudzoutak, Eiche, Postychev et de nombreux autres.
Protester contre des suspicions et des accusations sans fondement avaient pour conséquence de faire tomber l'opposant sous le coup de la répression. C'est ce qui a caractérisé la chute du camarade Postychev.
Dans l'un de ses discours, Staline avait exprimé son mécontentement de Postychev et lui avait demandé: "Qu'êtes-vous vraiment?"
Postychev avait nettement répondu: "Je suis bolchevik, camarade Staline, bolchevik." [note angl.]
Cette affirmation fut d'abord considérée comme la preuve d'un manque de respect à l'égard de Staline; plus tard, elle fut tenue pour acte préjudiciable, ce qui eut pour conséquence l'exécution de Postychev, qui fut dénoncé, sans aucune raison, comme un "ennemi du peuple" [note].
Dans la situation qui existait alors, je me suis souvent entretenu avec Nikolaï Alexandrovitch Boulganine. Un jour que nous étions tous deux en voiture, il dit:
"Il est quelquefois arrivé que quelqu'un se rende chez Staline, à son invitation, comme ami. Et quand il a pris place avec Staline, il ne sait pas où on l'enverra par la suite, chez lui ou en prison." [note angl.]
Il est clair que ces conditions mettaient tous les membres du Bureau politique dans une situation très difficile. Et quand on considère également le fait que dans les dernières années, le Comité central n'était pas convoqué en sessions plénières [note] et que le Bureau politique ne se réunissait que de temps en temps, on comprendra alors combien il était difficile pour un membre du Bureau politique de prendre position contre tel ou tel procédé injuste, contre les erreurs et les lacunes graves dans l'exercice de la direction.
Comme nous l'avons déjà expliqué, de nombreuses décisions étaient prises soit par une personne seule, soit d'une façon indirecte, sans que l'on procédât à des discussions collectives. Le triste sort du camarade Voznessenski qui fut victime de la répression stalinienne, est connu de tous. Il est caractéristique de noter que la décision d'écarter Voznessenski du Bureau politique fut prise d'une manière détournée sans qu'aucune discussion ait eu lieu. C'est de la même manière que furent prises les décisions concernant l'élimination de Kouznetsov et de Rodionov des postes qu'ils détenaient.
L'importance du rôle du Politburo du Comité central avait été réduite et son travail avait été désorganisé par suite de la création, dans son sein, de diverses commissions, désignées sous les noms de: "commission des cinq", "commission des six ", "commission des sept" et "commission des neuf". Voici, par exemple, une résolution adoptée par le Bureau politique le 3 octobre 1946:
Signé: (Staline)
Quelle terminologie de joueurs de cartes! [note angl.]
(Rires dans la salle.)
Il est évident que la création au sein du Politburo de pareilles commissions ("commission des cinq", "commission des six", "commission des sept", "commission des neuf") n'était pas conforme au principe de la direction collective. De cette manière, certains membres du Politburo n'ont pas été en mesure de participer à des délibérations ayant entraîné des décisions d'une grande importance.
Un des plus anciens membres de notre Parti, Kliment Iefremovitch Vorochilov, se trouva dans une position presque intenable. Pendant de nombreuses années, il fut privé du droit d'assister à des réunions du Bureau politique. Staline lui interdit de prendre part à ces réunions et de recevoir des documents. Toutes les fois que le Bureau politique devait se réunir -et que le camarade Vorochilov venait à le savoir, ce dernier s'empressait de téléphoner et de demander s'il lui serait permis d'y assister. Parfois, Staline l'y autorisait, mais il ne manquait pas, dans ce cas, de montrer son mécontentement.
Du fait de son extrême méfiance, Staline en vint jusqu'à imaginer, ce qui était absurde et ridicule, que Vorochilov était un agent anglais.
(Rires dans la salle.)
C'est vrai - un agent anglais. On installa chez lui un dispositif spécial d'enregistrement pour-écouter tout ce qui s'y disait.
(Indignation dans la salle.)
Par une décision unilatérale, Staline avait également évincé un autre homme du travail du Politburo: Andréi Andreievitch Andreiev. C'est là un des actes les plus débridés d'arbitraire.
Venons-en au premier plénum du Comité central qui a suivi le XIXe Congrès [note]. Staline, dans son allocution au plénum, s'en est pris à Viatcheslav Mikhaïlovitch Molotov et à Anastase Ivanovitch Mikoïan. Il a laissé entendre que ces vieux militants de notre Parti s'étaient rendus coupables de crimes évidemment sans fondement. Il n'est pas exclu que si Staline était resté à la barre quelques mois de plus, les camarades Molotov et Mikoïan n'auraient pas prononcé de discours au présent Congrès.
Staline avait, de toute évidence, le dessein d'en finir avec tous les anciens membres du Bureau politique. Il avait souvent déclaré que les membres du Bureau poli tique devraient être remplacés par des hommes nouveaux.
Sa proposition, formulée après le XIXe Congrès et portant sur l'élection de vingt-cinq personnes au Présidium du Comité central, visait à l'élimination des anciens membres du Bureau politique et à l'entrée de personnes moins expérimentées, qui l'auraient encensé de toutes les manières.
On peut supposer que, cela avait aussi pour objet la liquidation future des anciens membres du Bureau politique, ce qui aurait permis de recouvrir d'un voile de silence tous les actes honteux de Staline, actes que nous étudions à présent.
Camarades! Afin de ne pas répéter les erreurs du passé, le Comité central s'est déclaré résolument contre le culte de l'individu. Nous considérons que Staline a été encensé à l'excès. Mais, dans le passé, Staline a incontestablement rendu de grands services au Parti, à la classe ouvrière, et au mouvement international ouvrier.
Cette question se complique du fait que tout ce dont nous venons de discuter s'est produit du vivant de Staline, sous sa direction et avec son concours; Staline était convaincu que c'était nécessaire pour la défense des intérêts de la classe ouvrière contre les intrigues des ennemis et contre les attaques du camp impérialiste.
En agissant comme il l'avait fait, Staline était convaincu qu'il agissait dans l'intérêt de la classe laborieuse, dans l'intérêt du peuple, pour la victoire du socialisme et du communisme. Nous ne pouvons pas dire que ses actes étaient ceux d'un despote pris de vertige. Il était convaincu que cela était nécessaire dans l'intérêt du Parti, des masses laborieuses, pour défendre les conquêtes de la révolution. C'est là que réside la tragédie!
Camarades! Lénine avait souvent fait ressortir que la modestie devait être une des qualités essentielles d'un véritable bolchevik. Lénine lui-même était la personnification vivante de la plus grande modestie. Nous ne pouvons pas dire que nous avons suivi cet exemple de Lénine sous tous les rapports. Qu'il me suffise de rappeler que de nombreuses villes, usines et entreprises industrielles, des kolkhozes et des sovkhozes, des institutions culturelles, se sont vu octroyer par nous un titre - si je puis m'exprimer ainsi - de propriété personnelle. N'ont-ils pas reçu, en effet, le nom de tel ou tel membre du gouvernement ou du Parti bien que tous fussent encore actifs et en parfaite santé. Plusieurs d'entre nous ont accepté de voir leurs noms donnés à diverses villes, à des entreprises, à des kolkhozes. Nous devons rectifier cela.
(Applaudissements.)
Mais nous devons le faire calmement et lentement. Le Comité central discutera de la question et examinera soigneusement le moyen d'éviter des erreurs et des excès. Je me souviens de quelle façon l'Ukraine vint à apprendre l'arrestation de Kossior. La station d'émission de Kiev avait l'habitude de commencer ses programmes ainsi: "Ici, Radio-Kossior". Quand, un jour, les programmes omirent de mentionner le nom de Kossior, tout le monde fut convaincu que Kossior devait être en difficulté, qu'il avait probablement été arrêté.
Si l'on venait aujourd'hui à prendre la décision de procéder à des changements de noms, les gens croiraient que les camarades dont des entreprises, des kolkhozes, des villes portent les noms ont également subi un mauvais sort et qu'ils ont été arrêtés [note angl.].
(Mouvements dans la salle.)
L'autorité et l'importance d'un chef sont évaluées en fonction du nombre de villes, d'entreprises industrielles et d'usines, de kolkhozes et de sovkhozes qui portent son nom. N'est-il pas maintenant grand temps que nous éliminions cette "propriété privée" et "nationalisions" les usines, les entreprises industrielles, les kolkhozes et les sovkhozes?
(Rires. Applaudissements. Voix: "C'est juste!")
Cette décision ne pourra qu'être favorable à notre cause. Après tout, le culte de la personnalité se manifeste aussi de cette manière.
Nous devrions examiner très sérieusement la question du culte de la personnalité. Aucune nouvelle à ce sujet ne devra filtrer à l'extérieur; la presse spécialement ne doit pas en être informée. C'est donc pour cette raison que nous examinons cette question ici, en séance à huis clos du Congrès. Il y a des limites à tout. Nous ne devons pas fournir des munitions à l'ennemi; nous ne devons pas laver notre linge sale devant ses yeux. Je pense que les délégués au Congrès comprendront et évalueront à leur juste valeur toutes les propositions qui leur seront faites.
(Applaudissements tumultueux.)
Camarades, nous devons abolir le culte de l'individu d'une manière décisive une fois pour toutes. Nous devons tirer des conclusions appropriées concernant le travail idéologique, théorique et pratique.
Il est donc nécessaire dans ce but:
1. De condamner et d'extirper, en bolcheviks, le culte de l'individu, car il est étranger au marxisme-léninisme et n'est pas en harmonie avec les principes relatifs à la direction du Parti et avec les normes de la vie du Parti. Nous devons également lutter inexorablement contre toutes tentatives qui tendraient à restaurer cette pratique d'une manière ou d'une autre.
Il nous faudra aussi mettre effectivement en pratique dans notre travail idéologique les thèses les plus importantes de la science marxiste-léniniste relatives au peuple, en tant que créateur de l'histoire et de tous les bienfaits matériels et spirituels de l'humanité, au rôle décisif du Parti marxiste dans la lutte révolutionnaire pour la transformation de la société, à la victoire du communisme.
Dans cet ordre d'idées, nous serons obligés d'examiner d'une façon critique, en nous plaçant sous un angle marxiste-léniniste, les idées erronées qui ont été largement répandues au sujet du culte de l'individu dans le domaine de l'histoire, de la philosophie, de l'économie et des autres sciences, ainsi que dans ceux de la littérature et des beaux-arts, et d'y apporter les corrections nécessaires. Il est indispensable qu'un nouveau manuel d'histoire de notre Parti rédigé conformément à l'objectivité scientifique marxiste, soit publié dans l'avenir immédiat, de même qu'un manuel sur l'histoire de la société soviétique, ainsi qu'un livre sur la guerre civile et la grande guerre patriotique.
2. Il faudra poursuivre d'une façon systématique et conséquente le travail accompli par le Comité central du Parti durant les dernières années. Les caractéristiques de ce travail ont été les suivantes: observation minutieuse, dans toutes les organisations du Parti, de la base au sommet, des principes léninistes relatifs à la direction du Parti; observation surtout du principe essentiel de la direction collective; observation des normes de la vie du Parti telles qu'elles sont décrites dans les statuts du Parti; et, enfin, large pratique de la critique et de l'autocritique.
3. Il faudra remettre en vigueur d'une manière complète les principes léninistes de la démocratie socialiste, tels qu'ils sont exprimés dans la Constitution de l'Union soviétique, et lutter contre l'arbitraire des individus qui abuseraient de leur pouvoir. Le mal occasionné depuis longtemps par des actes qui ne tenaient aucun compte de la légalité socialiste révolutionnaire, et qui étaient dus à l'influence négative du culte de l'individu, devra être complètement réparé.
Camarades! Le XXe Congrès du parti communiste de l'Union soviétique a rendu manifeste, avec une force nouvelle, l'inébranlable unité de notre Parti, sa cohésion autour du Comité central, sa détermination de réaliser une grande tâche: la construction du communisme.
(Applaudissements tumultueux.)
Le fait aussi de présenter dans toutes leurs ramifications les problèmes soulevés par le culte de l'individu, lequel est étranger au marxisme-léninisme, ainsi que ceux relatifs à la liquidation de ses conséquences, démontre la grande force morale et politique de notre Parti.
(Applaudissements prolongés.)
Nous sommes convaincus que notre Parti, armé par les Résolutions historiques du XXe Congrès, mènera le peuple soviétique vers de nouveaux succès, vers de nouvelles victoires, en suivant la voie tracée par Lénine.
(Applaudissements tumultueux et prolongés.)
Vive la bannière victorieuse de notre Parti, le léninisme!
(Applaudissements tumultueux et prolongés gui s'achèvent par une ovation. Tous se lèvent.)